lundi 14 mai 2012

"En un monde parfait" de Laura Kasischke

Les héroïnes de Kasischke sont singulières. Elles frisent la perfection juste pour mieux nous agacer ! Oui, Jiselle est agaçante :
C'est une jolie femme active trentenaire qui a une vie trépidante :
elle voyage énormément (elle est hôtesse de l'air), visite les plus belles villes du monde, s’achète des sous-vêtements de marque à Paris ou Madrid si ça lui chante. Bref, une vie rêvée, parfaite... énervante !
Sauf qu'il y a un problème. Bien sûr. Ou plutôt, deux problèmes :
  1. Jiselle est célibataire et elle en a marre.
  2. Les livres de Kasischke comportent toujours un grain de sable mesquin qui vient enrayer la mécanique d'un "bonheur parfait". Ici, le grain de sable c'est juste... la fin du monde.
En cette année 2012, il pourrait y avoir une parfaite résonance. Un signe ?

Concernant notre Jiselle, l'"horloge" tournant, les "hormones" travaillant peut-être, elle finit par tomber bêtement amoureuse de Mark ce bellâtre de commandant de bord qui fait tourner la tête à tout le personnel féminin environnant. 
Quand il la demande tout de suite en mariage, elle ne trouve pas cela louche et n'envisage même pas de refuser ! Quand il lui demande d'arrêter de travailler pour vivre son amour à plein temps, elle n'hésite pas assez longtemps... Quand il lui demande rapidement de venir s’installer chez lui pour "s'occuper" de ses trois enfants esseulés depuis la mort de leur mère, elle sent bien qu'il la prend un peu pour la nouvelle nounou mais, refuse de se l'avouer. Et quand elle doit subir les "représailles" de la progéniture désœuvrée par les absences régulières de leur pilote de père, elle s'obstine, s'incline et se laisse un peu enfermer...

Toute féministe aguerrie voit déjà le drame se profiler. 
Quitter un travail qui la rendait si indépendante pour les beaux yeux d'un pilote c'est presque irresponsable. Mais élever les enfants qu'il a eus avec une autre et gérer la logistique domestique, c'en est trop ! Et pour quel bénéfice ? Le beau commandant n'en est pas moins absent. Et puis cette grippe de Phoenix qui sévit aux USA ne l’effraie pas plus que les longues absences... Jiselle serait-elle sotte ?

Qu'est-ce qu'elle a pu m'énerver cette Jiselle qui se laisse porter par les évènements sans même essayer de les maîtriser ! Qu'est-ce qu'elle a pu m'agacer à faire la bécasse amoureuse et ne pas voir les signes ! Les signes de la fin du monde qu'elle ne perçoit même pas, toute enivrée qu'elle est par sa passion. Comme les signes d'enfermement, les signes du mépris...
Et puis finalement, Jiselle m'a étonnamment séduite quand elle a su prendre les choses en main, la famille, la logistique, la vie familiale, la survie et SA vie pour fabriquer un monde, un bonheur... éphémère peut-être mais parfait, sûrement.

Dans cette atmosphère d'effondrement de l'ordre mondial (les Américains sont les parias du monde avec la grippe qu'ils répandent) et de fin de civilisation, Jiselle montre des aptitudes chaque fois plus étonnantes. Le lecteur est témoin de sa métamorphose subtile et même s'il y a une certaine part de prévisibilité dans ce roman, j'ai particulièrement été charmée par ces relations amoureuses qui ne s'éclairent qu'à la fin : celle de Jiselle certes, mais aussi celle de la mère des enfants, perçue comme étant une sainte inégalable et parfaite.
Le lecteur est aussi témoin des chaines qui se libèrent pour l'héroïne. Les chaînes de la dépendance physique (amoureuse, financière) comme celles représentées par la relation empoisonnante entre Jiselle et sa propre mère ainsi que la relation tendue marâtre-enfants.

Ce n'est pas mon meilleur Kasischke mais je reste enchantée par sa lecture, loin d'être honteuse.
Les histoires familiales tordues, les relations amoureuses bizarres sont toujours plus intéressantes que les mondes parfaits, non ?

1 commentaires:

Futilitude a dit…

Hum hé bien, je crois que j'aurais pê abandonné la lecture à partie énervante ;-) Je n'aime pas bcp les personnages passifs! Mais avec ton article, si je le lis, je saurais qu'il faut tenir bon :-)