mercredi 10 juin 2015

Les choses de Georges Perec. Notes et réflexions [vrac]

Accumuler. Consommer... toujours et encore.
Mais être contraints, limités, toujours et encore, par des revenus honorables qui ne permettent pas une aisance ostentatoire. 
Jérôme et Sylvie rêvent de toutes ces choses qu'ils n'auront jamais. S'ils essayent laborieusement de s'approcher de leur idéal de vie,
ils n'en sont pas moins conscients de ne jamais pouvoir l'atteindre. Ce qui développe invétiablement un certain ressentiment, une aigreur qui ponctue leur vie tant bien réglée.

La description incessante des biens au conditionnel place le lecteur dans un monde fugace comme rêve et superficiel. 
Vraiment ?

Voici quelques extraits qui parlent d'eux-mêmes :
"Des millions d'hommes jadis, se sont battus et même se battent encore, pour du pain. Jérôme et Sylvie ne croyaient guère que l'on pût se battre pour des divans Chesterfield. Mais c'eût été pourtant le mot d'ordre qui les aurait le plus facilment mobilisés".
Je suis Ikea.
Combien se battraient pour l'ouverture du dimanche rien que pour avoir le loisir d'errer dans les rayonnages ?
De nos jours, ce n'est pas une révélation, des clandestins se noient pour tenter de rallier un monde où l'herbe est forcément un tantinet plus verte que chez eux sans que cela n'émeuve ceux qui se battent pour avoir plus de pouvoir d'achat. 

Dans ce contexte, ce livre publié il y a 50 ans n'a pas pris une ride, comme on dit. On ne peut être étonné d'une citation de Karl Marx pour conclusion.

Mais le plus important, et ce qui m'avait donné terriblement envie de lire ce livre, c'est ces interrogations du narrateur : 

Quand nous entrons dans "la vie active" nous éteignons nos cerveaux pour mieux consommer. 
Délaissons-nous ce que nous avions de plus riche au profit de l'acquisition ?
"Un jeune homme théorique qui fait quelques études [...] se retrouve vers vingt-cinq ans nu comme au premier jour, bien que déjà virtuellement possesseur, de par son savoir même, de plus d'argent qu'il n'a jamais pu en souhaiter. C'est-à-dire qu'il sait avec certitude qu'un jour viendra où il aura son appartement, sa maison de campagne, sa voiture, sa chaîne haute-fidélité. 
Ne vivons-nous que pour mener une existence dans le seul but serait de la remplir avec le superficiel au détriment de l'essentiel ? Ne répondons-nous pas à une suite de schémas sociaux qui nous dictent notre conduite contre notre envie profonde que nous ne considérons plus ? 
[les exaltantes promesses : la maison, la voiture...] appartiennent, de par leur être même, à un processus dont relèvent également, si l'on veut bien y refléchir, le mariage, la naissance des enfants, l'évolution des valeurs morales, des attitudes sociales et des comportements humains.
 Que ces schémas nous emprisonnent et que nous ne nous en rendons compte que lorsqu'il est trop tard ? 
Lors il est pris, et bien pris : il ne lui reste plus qu'à s'armer de patience. Hélas, quand il est au bout de ses peines, le jeune homme n'est plus si jeune, et, comble de malheur, il pourra même lui apparaître que sa vie est derrière lui, qu'elle n'était que son effort, et non son but [..]
Quel avenir radieux entre travailler plus et vivre (ou consommer ?) moins :
il n'en demeurera pas moins vrai qu'il sera âgé de quarante ans, et que l'aménagement de ses résidences principale et secondaire, et l'éducation de ses enfants auront suffi à remplir les maigres heures qu'il n'aura pas consacrées à son labeur..." 
La seconde partie du livre se déroule de l'autre côté de la Méditerranée (tiens !). Une seconde chance, une note d'espoir dans ce qui pourrait être (conditionnel) un eldorado pour ce jeune couple. En effet, du 30 m² parisien surchargé de biens ils passent, presque sans transition, au grand appartement tunisien...vide. Une terre (pas du tout) promise et dont ils ne saisissent pas le potentiel. Le passage en Tunisie ne s'étend pas. L'expérience, troublante, perturbe mais ne résonne pas. 
C'est à croire que le matériel, finalement est beaucoup plus rassurant. 
Les choses remplissent-elles le vide de nos existences ? 

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